Autour d'Alain Dewerpe

À l'École des hautes études en sciences sociales qu’il avait rejointe en 1991, ses recherches et son enseignement ont, pour l’essentiel, été consacrés à l’histoire des mondes de l’industrie du xviiie au xxe siècle. Depuis ses premiers travaux sur la proto-industrialisation en Italie et en France jusqu’à la longue recherche sur la grande entreprise génoise de sidérurgie et de mécanique Ansaldo, les mêmes thèmes se font écho : la formation d’une main-d’oeuvre, l’organisation du travail industriel et ses tensions, les formes et les espaces matériels de la production.
Parallèlement, A. Dewerpe a très tôt amorcé une réflexion sur l’État, qu’il n’a cessé d’approfondir. Le programme de ce qu’il a lui-même défini comme une « anthropologie de l’État » est explicité dans deux grands livres longuement préparés, Espions. Une anthropologie historique du secret d’État contemporain (1994) et Charonne. Anthropologie d’un massacre d’État (2006), qui illustrent l’ambition, l’audace et le sens de l’expérimentation d’un grand historien. Entre ces deux versants de l’oeuvre, on retrouve des préoccupations communes : une attention soutenue aux pratiques qui font exister les institutions, aux espaces dans lesquels elles s’inscrivent, un intérêt pour les formes de l’agrégation sociale, une fascination pour les techniques et leurs gestes ; et, à l’arrière-plan, le souci des enjeux politiques qui sont inséparables de la vie sociale jusque dans son détail.
Jacques Revel est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales.